La nuit est limpide, L'étang est sans ride Dans le ciel limpide Luit le croissant d'or. Orme, chêne ou tremble Nul arbre ne tremble Au loin le bois semble Un géant qui dort. Chien ni loup ne quitte Sa niche ou son gîte Aucun bruit n'agite La terre au repos. Alors dans la vase Ouvrant en extase Leurs yeux de topaze Chantent les crapauds.
Ils disent nous sommes Haïs par les hommes Nous troublons leur somme De nos tristes chants. Pour nous, point de fêtes Dieu seul sur nos têtes Sait qu'il nous fit bêtes Et non point méchants. Notre peau terreuse Se gonfle et se creuse D'une bave affreuse, Nos flancs sont lavés Et l'enfant qui passe Loin de nous s'efface Et pâle, nous chasse À coups de pavés.
Des saisons entières, Dans les fondrières, Un trou sous les pierres Est notre réduit. Le serpent en boule Près de nous s'y roule Quand il pleut, en foule, Nous sortons la nuit. Et dans les salades Faisant des gambades Pesants camarades Nous allons manger. Manger sans grimace Cloporte ou limace Ou vers qu'on ramasse Dans le potager.
Nous aimons la mare Qu'un reflet chamarre Où dort à l'amarre Un canot pourri. Dans l'eau qu'elle souille, Sa chaîne se rouille La verte grenouille Y cherche un abri. Là, la source épanche Son écume blanche Un vieux saule penche Au milieu des joncs. Et les libellules Aux ailes de tulle Font crever des bulles Au nez des gougeons.
Quand la lune plaque Comme un vernis-laque Sur la calme flaque Des marais blafards, Alors, symbolique Et mélancolique, Notre lent cantique Sort des nénuphars. Orme, chêne ou tremble Nul arbre ne tremble, Au loin le bois semble Un géant qui dort. La nuit est limpide L'étang est sans ride Sous le ciel splendide Luit le croissant d'or.