L'enfant qui traversait la plaine M'a dit bonjour à moi, le fou. J'ai voulu prendre son haleine Et j'ai mis mes mains sur son cou. Elle a dit d'un ton de prière : "Que t'ai-je donc fait pour cela ?" Elle dort sous la bruyère, sous la bruyère !
Mes deux mains comme dans la pâte Se sont enfoncées dans son cou, Puis j'ai continué sans hâte Et ses yeux sont sortis du trou. Elle eut une plainte dernière Et sur l'herbe elle s'affala. Elle dort sous la bruyère, sous la bruyère !
Par les pieds, j'ai pris le corps roide Et dans la mousse et les genêts J'ai traîné sa dépouille froide, En en faisant des moulinets. La ronce accrochait sa crinière, De la chair même s'y colla. Elle dort sous la bruyère, sous la bruyère !
Mes ongles, ainsi qu'une bêche, Ont creusé le sol embaumé, Et j'ai remis la terre sèche Sur son cadavre déformé. La lune coulait sa lumière Sur ses seins blancs d'un doux éclat. Elle dort sous la bruyère, sous la bruyère !
Le vent dans les pins qu'il agite A mugi le De Profondis. La pluie a versé l'eau bénite Et l'encens s'est élevé des lys. Les fleurs lui font un suaire. Moi j'ai chanté sur tout cela. Elle dort sous la bruyère, sous la bruyère !