Dans ce piano tout noir, il y a les brumes de l'enfance, Ce brouillard rose bonbon qui vous colle à la peau, Un manège au champ de mars où, avec un peu de chance, Je faisais un tour à l'œil, si j'décrochais l'anneau. Dans ce piano tout noir, il y a une rue de Paris, Des voisins de passage qui sont passés trop tôt. Il y a un piano à queue, une peluche pour la nuit Et un billet d'cinq francs pour un portrait d'Hugo. Dans ce piano tout noir, il y a un bus à plate-forme, Un jardin de banlieue ou j'inventais le far-west, Les vacances en Bretagne, les cafards en automne. Il y a des chagrins d'amour et des prénoms qui restent. Dans ce piano tout noir, y a un drapeau anar, Les pavés de St Michel qu'ont jamais vu la mer, La fumée des Gauloises qu'on soufflait comme des stars En parlant de finance et de soupe populaire. Dans ce piano tout noir, y a la plaie au Viêt-Nam Et des bateaux qui croisent avec la mort dedans. Il y a la guerre, il y a du sang, des dollars et des armes Et l'voisin qui l'fera si c'est pas moi qu'en vend. Dans ce piano tout noir, y a l'journal de vingt heures, Des photos d'la Nasa, des images du Sahel, Santiago, Varsovie et ce Cap de malheur Ou les gosses ne jouent pas sur les mêmes marelles. Dans ce piano tout noir, y a une pute en soie blanche Et des seins de madone en marbre de carrare, La misère des gens simples en habits du dimanche Et le long bavardage des conteurs de comptoirs. Dans ce piano tout noir, y a les lignes de ma vie Et le grand tapis vert d'un casino désert. Y a la mort qui attend comme un chat mal nourri Et le temps collabo qui rit de la voir faire. Dans ce piano tout noir, y a la femme que j'aime, Avec ses cordes graves et ses notes d'espoir, Les enfants de l'amour qui me donnent le thème Et le temps que je passe à les chanter ce soir. Dans ce piano tout noir, il y a les brumes de l'enfance, Ce brouillard rose bonbon qui vous colle à la peau, Un manège au champ de Mars où, avec un peu de chance, Je faisais un tour à l'œil, si j'décrochais l'anneau.