Voyez-vous ce jeune homme qui passe là-bas ? Aimerait-il celle qui ne l'aime pas ? Quelle tristesse sur son front, Souffrirait-il des poumons De la rate, des arpions ? Chercherait-il encore un appartement ? Aurait-il lu les vers de Maurice Rostand ? Fait-il le calcul de c'que l'Allemagne paiera ? Vous n'y êtes pas Non, c'est bien plus grave que ça Ce beau jeune homme brun Sort du bal Tabarin Et s'il n'a plus le front serein,
{Refrain:} C'est le tango qui l'a rendu neurasthénique Lui qu'était si gai, qui riait toujours, du soir au matin Mais en dansant sur cette musique nostalgique Il a pris l'air grave que vous lui voyez, il n'a plus d'entrain Il a cet air abruti De quelqu'un qui aurait suivi Un roman-cinéma en cent douze parties Il a cet air avachi D'un type qui aurait compris A quoi toutes les conférences nous ont servi C'est le tango qui l'a rendu neurasthénique C'est le tango qui l'a rendu dingo
Une petite femme est v'nue chez lui y a huit jours Elle sentait bon, elle était belle comme l'amour Elle avait des tas de bijoux Un collier d'perles grosses comme tout Valant chacune quarante sous Mais, au bout d'un quart d'heure, elle descendit Entra chez la concierge en poussant des cris «Je venais pour subir les derniers outrages Je suis restée sage !» Mais qu'est-c'que c'est qu'ce sauvage ? L'autre, dans un soupir Dit «Rien ne peut l'guérir Même pas les pilules des fakirs»
{Refrain:} C'est le tango qui l'a rendu neurasthénique Lui qu'était si gai, qui riait toujours, du soir au matin Ça y a coupé ses idées même les plus lubriques Il ne redresse plus la tête ni les reins... il n'redresse plus rien Quand il descend l'escalier Il a l'visage contracté Sur chacune des marches, il va glissant les pieds Même, l'autre jour, qu'un locataire M'a dit, s'trompant sur son air «Vot' nouveau cireur va s'fout' la gueule par terre» C'est le tango qui l'a rendu neurasthénique C'est le tango qui l'a rendu dingo
Mais cette histoire devait avoir une fin On a enterré ce jeune homme hier matin En traversant une rue Tangotant, l'œil éperdu L'autobus y a passé d'ssus Il y avait beaucoup d'monde à son enterrement Tous les dancings avaient un représentant La délégation des danseurs de shimmy Est v'nue aussi La musique a joué Phi-Phi Au cimetière, ce fut beau Un gratteur de banjo Sur la tombe, dit ces derniers mots
{Refrain:} C'est le tango qui l'a rendu neurasthénique Lui qu'était si gai, qui riait toujours, du soir au matin Faut lui él'ver sa statue sur la voie publique Le représentant parmi les jazz-bands, sombre comme il convient Il y a tellement d'inconnus Qui ont déjà leur statue Qu'après tout, celle-là ne fera qu'une de plus Il mérite notre attention Autant qu'Truc ou Tartempion Qui inventa la pommade contre les morsures C'est le tango qui l'a rendu neurasthénique C'est du tango dont il est mort dingo