Et puis vient un jour, Tout tombe lourd. Un jour, on est si grand Qu'on est vide en dedans, Tout raide et sans penchant, Une antenne sous le vent, Les images là-dedans Brouillées de parasites. On voudrait s'écrier mais y' a rien à crier. Les mots sont facétieux comme du papier mâché. Il nous font un' grosse tête de carnaval en fête. La peine est une esthète. C'est là notre défaite. On voudrait l'exprimer, l'imprimer, l'opprimer, La douleur du néant avec des mots blindés, Oui, mais seulement, voilà : Devant le néant, tout fout l' camp. Alors vient un jour, La pensée, comme un poids-lourd : La remorque est vide. Le tracteur est sans guide Et l'on a une ride Au front qui tient la bride Et prépare l'homicide Futur à bout portant. On voudrait s'accrocher, décrocher le turlu, Appeler l'âme-sœur, une sœur Anne aux seins nus Mais elle se paie not' tête : elle nous parle de branlette. La peine est suffragette, c'est là notre défaite. On voudrait la cacher, la cracher, l'arracher, Cette peine capitale et la voir se noyer Oui, mais seulement, voilà : Devant le néant, tout fout l' camp. Enfin vient un jour, On descend de voiture. On pose le pied sur terre Sur une route à sa pointure. Dans une autre atmosphère Où le passé n'est plus présent Ni l'avenir, ni le présent, On a le temps, on est tout neuf. Et on peut s'écrier mais on préfère se taire C'est mieux de la fermer pour écouter la terre. Un jour sans le savoir, on change de mémoire. La peine va se faire voir, c'est là notre victoire. Alors on peut chanter, s'enchanter sans danger, Sans craindre la sentence pour délit d'insouciance Oui, mais seulement, voilà : Devant le néant tout fout l' camp. Oui mais maintenant voilà : On le sait et... ça va...