J'ai vendu des fleurs aux terrasses Quand j'avais dix-sept ans Mais la roue tourne, le temps passe : J'ai du fric, à présent. Eh bien ! Malgré mon compte en banque, Ma bagnole, mes bijoux, Certains jours quelque chose me manque. J'ai l'cafard tout à coup. Entre Saint-Ouen et Clignancourt, De temps en temps faut qu'j'fasse un tour Sur la zone. Je r'trouve alors tout mon passé, Le ciel si doux, les durs pavés, L'herbe jaune Et, pataugeant dans les ruisseaux, Des bandes de gosses moitié poulbots, Moitié faunes, L'odeur de frites et de lilas. En frissonnant je r'trouve tout ça Sur la zone. A mon avis, les gens du monde Ne sav'nt pas fair' l'amour. Au moment critique ils abondent En bobards, en discours, Alors cell's qui, comm' moi, connaissent C'que c'est qu'un mâle, un vrai, Cell's 'là s'dis'nt : un mec, en vitesse Et je me rattrap'rai. Entre Saint-Ouen et Clignancourt, De temps en temps faut qu'j'fasse un tour Sur la zone. On s'envoie chez le gros Léon, Tandis que chant' l'accordéon, Un vieux Beaune. C'est le printemps et c'est le soir. Calmes et forts, devant l'comptoir, Des gars trônent Et dans l'tas on n'a qu'à choisir Pour apaiser tous les désirs Sur la zone. Quelquefois mêm' le cœur s'en mêle Et pour entendre mieux, La voix qui dit : "Môm' c'que t'es belle" On ferme les deux yeux Mais on n'vit d'amour et d'eau claire Que dans certains romans, Alors, bien vite, on s'fait la paire Sans rêver plus longtemps. Entre Saint-Ouen et Clignancourt Je suis rev'nue hier faire un tour Sur la zone. Quel chang'ment alors j'ai trouvé : On démolit de tous côtés. Quel cyclone... Plus d'bosquets, plus d'baraqu's en bois, Plus d'ces chansons qu'étaient pour moi Une aumône Et devant mes souv'nirs détruits, Tout' seul' j'ai pleuré dans la nuit Sur la zone.