C'était au bon temps des voiles latines Nous, on naviguait sur la Madelon Le patron c'était Jules d'Essertines Il était beau comme Apollon Il fallait le voir commander sa barque Oeil clair, torse nu, gorgé de soleil Plein de majesté, comme un vrai monarque Doré ma foi jusqu'aux orteils Un tombeur de charme, et un tout bon type Les belles partout guettaient son retour Il aimait la vie, il aimait sa pipe Son bateau, le vin, et l'amour
{Refrain} Car après Dieu seul maître à bord Comme tous les marins du monde Il avait pour son réconfort Une Louise dans chaque port
Par le Bouveret, c'était, grassouillette L'Angèle une blonde aux jolis yeux pers Qui lui tricotait maillots et chaussettes Pour qu'il s'enrhume pas l'hiver A Thonon l'Irma, la belle cafetière L'abreuvait d'amour et de vin clairet Mais il apprenait les belles manières Avec une Anglaise à Revers Y avait l'Amanda, la muse de Morges Qui lui donnait tout dans sa véranda Son corps, son esprit, sa superbe gorge C'était lui l'amant d'Amanda
{Au refrain}
On le surnommait parfois "Fend-la-bise" Mais le plus souvent "Jules-le-tombeur" Pour bien bourlinguer entre les Louises Fallait un fort navigateur Y avait les maris, y avait les tempêtes Le soleil, la pluie, et le calme plat On restait des jours sans bouger en quête D'un souffle d'air et puis voilà Le coup de Vauder, escale à l'auberge Douchy où l'Esther, l'ange du quartier Lui jouait au piano "La prière d'une vierge" Qu'il exauçait bien volontiers
{Au refrain}
Mais le vent tournait, rabattait les voiles Et la Madelon, chargée de graviers Mettait cap à l'ouest, et Jules en sandales Veillait au grain sans sourciller Le vent fraîchissait, on voyait les grèves Défiler ma foi vite et joliment Puis on débarquait au port de Genève Ahuri sans savoir comment Pour nous accueillir, toutes les grandes gueules De Piogre étaient là, ça faisait du bruit La grande Lulu disait : "Pas de meule J'emmène Jules pour la nuit"
{Au refrain}
C'était le bon temps, mais trop de Louises Et trop de bordées, c'est bien épuisant C'est ainsi qu'un soir, notre Fend-la-bise Il allait sur ses cinquante ans En faisait escale au port de Villeneuve Est tombé, ma foi, mort en plein bonheur Dans les bras douillets d'une jolie veuve On peut bien dire "au champ d'honneur" Au navigateur de charme et d'eau douce On a fait alors un bel enterrement Toutes étaient là, les blondes, les rousses Toutes les perles du Léman
Et les pirates de tous bords Pour fleurir la tombe où repose Désormais celui qui est mort D'une Louise dans chaque port