Mon café littéraire C'est devant le cimetière Et le libraire du coin Vaut mieux aller en face Chercher la dédicace D'un académicien
Son premier manuscrit Fut à la bombe écrit Contre sa devanture. Au café littéraire On a déjà les verres Apportez l'écriture
On s'est pointé à vingt En habits d'écrivains On s'est assis en choeur Un roman ébauché Visiblement caché Sous un verre de liqueur
Depuis quand on y cause On sait que c'est en prose C'est quand même plus chouette On commande son litre Comme on choisit un titre Dans sa bibliothèque.
Au café littéraire On s'y prend déjà l'air D'être au Petit Larousse On pause en attendant Le jour où nos vingt ans Seront cotés en bourse. On porte des écharpes On écrit sur les nappes On brise des pianos On crie "le bar à boire" On payera plus tard En coupures de journaux
Au café littéraire Y a guère que la taulière Qu'aime pas la lecture Mais les lignes des paumes Elle t'en lirait vingt tomes Au travers des ratures
Quand le bateau est ivre Qu'on a bu tous les livres On repart en carafe Comme on paye cul-sec On déduit sur le chèque Le prix de l'autographe
"Chauffeur à l'horizon" On s'affale du long Sur nos chariots à voile Le vent vient allumer Le bout d'un cache-nez Au briquet des étoiles
Au matin pêle-mêle Froissés dans les poubelles Des hommes emporteront Des chefs-d'oeuvres en friche Sur du papier sandwich Et des nappes en crépon
Mon café littéraire Suivez l'itinéraire C'est sous le dernier porche Juste après la virgule Ce troquet qui recule A mesure qu'on s'approche
Où l'arbre sur le seuil Sème comme un recueil Ses feuilles de brouillon Et où ses branches peignent En ombre sur l'enseigne Le chapeau de Villon.