J'ai chanté les gueux et les filles Tous les purotins (1) du trottoir Dont le cœur bat, sous les guenilles D'amour, de jeunesse et d'espoir Il faut bien que des voix s'élèvent Parmi les rumeurs et les cris Pour clamer les joies et les rêves De la misère de Paris
J'ai chanté comme une cigale Sœur pauvre des déshérités, Laissant aux fourmis la fringale, De l'argent et des vanités. J'ai chanté de toute mon âme A l'âge de Mimi Pinson J'avais donné mon cœur de femme A la chanson
J'ai, dans les cours faisant la quête, Rendu tous les pipelets fous Les coups de balai sur ma tête Pleuvaient plus souvent que les sous, Des bobards tombaient des fenêtres Sans interrompre mon refrain Car je pensais "De pauvres êtres Par ma chanson, auront du pain".
J'ai chanté comme une cigale Même sous la neige, l'hiver Et quand je n'avais qu'un vieux châle Contre les morsures de l'air Quelquefois s'éraillait ma gamme Mais je n'avais pas le frisson Je me réchauffais à la flamme De ma chanson.
En trinquant à la régalade, J'ai bu le pinard des poilus, Je crois bien que plus d'un malade En m'écoutant ne souffrait plus, Ils m'ont nommée leur caporale Les doux et braves petits gars C'est un titre que rien n'égale Parmi les honneurs d'ici-bas.
J'ai chanté comme une cigale Parce que c'était mon destin Sous le soleil, sous la rafale Dans le soir et dans le matin Et quand s'éteindra la camoufle (2) Telle un oiseau dans le buisson Je dirai, dans un dernier souffle, Une chanson.